dimanche 22 mai 2016

Les couleurs de la vie....



Les semaines commencent à passer de plus en plus vite : voilà déjà 20 semaines que je suis à Haïti et, dans 7 semaines, je retrouverai ma famille et mes amis <3

Ces trois dernières semaines ont eu de nombreuses couleurs de l’arc-en-ciel : des énervements, des joies, des inquiétudes et de belles rencontres, alors je vais essayer de mixer un peu de tout dans ce message…

Tout d’abord, des énervements : il nous a fallu annuler à nouveau des rencontres prévues, car malheureusement la voiture du pasteur mise à notre disposition avait les pneus en si mauvais état qu’il était impensable de prendre certaines routes ! Dès lors afin de limiter les difficultés de remplacer ces séances, je me suis renseignée pour le prix du changement de roues : US$ 640 ! Impossible pour moi de prendre en charge ces frais :-(  Dans l’urgence, j’ai loué une voiture (forcément un 4x4 car il n’est pas possible de prendre autre chose) pour une journée et ai payé US$ 150.- la journée et 20.- d’essence ! J’ai découvert à ce moment que, si à mon arrivée 1CHF valait environ 56 gourdes, à présent cela représente 64 gourdes L Leur monnaie se dévalorise à une vitesse grand V et comme ici ils font payer souvent le prix en US$ cela devient toujours plus difficile pour de nombreux Haïtiens, alors que ceux qui travaillent avec les étrangers (locations de voitures et hôtels) s’enrichissent. Cependant, je ne me voyais pas non plus louer la voiture les 3-4 fois encore nécessaires, alors je voulais voir pour participer à l’achat des pneus. Entre temps, l’Eglise méthodiste, à qui appartient les véhicules, a financé une partie de l’achat et le reste a été pris en charge par le pasteur. La voiture est donc à présent en ordre pour les prochains voyages et cela me rassure. 

Néanmoins, nous avons dû faire des nouveaux regroupements d’écoles, passant de 3 à 6 écoles participantes à certaines formations, car il était impossible de multiplier les dates alors que les examens commencent le 10 juin. Du coup, je participe aux frais de déplacements de certains enseignants à raison de CHF 4,50 environ par enseignant pour les plus éloignés (d’habitude ils reçoivent environ 7.-). Malgré tout, à la dernière formation, certains m’ont relaté leurs difficultés à trouver un taxi moto pour venir et ceux qui en avaient trouvé ont eu des pannes ! Pour d’autres, la seule solution est 2-3 heures de marche…si tout va bien ! Je me fais l’effet d’être un bourreau ! Je suis triste de ne pas pouvoir prendre tout en charge, mais mes finances arrivent aussi bientôt au bout de leurs réserves et je mets presque 20.- par semaine pour des copies pour les différentes formations afin qu’ils aient vraiment des documents utilisables après mon départ ! 


Ce vendredi, la formation a commencé en salle, car j'avais besoin du tableau noir,





mais elle a fini sous le manguier pour éviter note surchauffe ! 








Il me reste donc environ trois semaines de formation à donner et il semble y avoir eu peu d’effets dans les classes suite à la première journée, j’espère que la deuxième va servir au moins à quelques enseignants ! Parallèlement, je  poursuis mes formations facultatives du samedi matin et le nombre de participants varient de 1, à 5, à 13….. Mais j’aime beaucoup ces moments très variés !
 A partir du 10 juin, je mettrai au net des documents à distribuer à la rentrée en lien avec mes formations ainsi que les attestations de présence pour les enseignants, j’aurai ainsi de quoi finir de m’occuper  et peut-être d’aller ranger quelques bibliothèques, ce que je n’ai pas pu encore faire à cause de quelques soucis de santé....

Fin avril, j’ai eu une conjonctivite que le médecin a traitée. Alors qu’elle avait quasiment disparu au bout de 5-6 jours, mon inflammation de l’œil est revenue en force et après trois jours, je ne voyais absolument plus rien de mon œil gauche. Et cela au moment où ma blessure de la jambe était officiellement déclarée fermée après 8 semaines ! Mon médecin généraliste a essayé de me donner des antibiotiques pour l’œil, mais aucun changement. Or, il n’y a pas d’ophtalmologue à Jérémie, mais un vient de Port-au-Prince une semaine par mois. Le médecin lui a téléphoné samedi dernier pour demander conseil et il nous a annoncé sa venue pour mardi. Dès lors, je l’ai attendu avec beaucoup d’inquiétudes, car la vue est quelque chose de délicat. J’hésitais presque à contacter le livret Eti pour un rapatriement, mais j’ai décidé d’attendre le mardi. Dès son arrivée, il m’a reçue rapidement, me faisant dépasser des dizaines de personnes qui attendaient…c’est agréable, mais plutôt gênant ! Bref, verdict : une mauvaise kératite, soit une infection par des champignons fongicides de la cornée. Il me donne tout de suite deux médicaments pour m’aider, mais m’annonce que celui qu’il me faut vraiment est introuvable à Jérémie et rare à Port-au-Prince. Quelques téléphones plus tard, l’achat est organisé à PaP : un endroit est indiqué, mais quand la personne est arrivée, elle n’avait pas assez d’argent avec elle (3'500 gourdes !), elle revient avec l’argent, mais la boutique avait fermé ! Donc à nouveau téléphones pour trouver un autre lieu et, finalement, le médicament a voyagé par bus mercredi. Au moment où je le reçois, le docteur m’annonce qu’il a oublié de dire qu’il faudrait deux flacons ! Donc retéléphones et je recevrai le deuxième flacon mardi ! Rien n’est simple mais quelle investissement de la part des gens pour moi !
 
Vendredi, nouveau contrôle et constat d’une petite amélioration après 48h de 4 médicaments dont 2 antibiotiques, le tout à mettre directement dans l’œil ! Lorsque je me regarde dans la glace, mon œil gauche distingue à présent les différentes parties de mon visage, mais suffisamment flou pour ne pas voir les rides, les boutons, les poils et autres imperfections ! ;-) Cela c’est agréable ! Bref, il me faudra encore en tout cas deux semaines de traitement pour retrouver ma vue… Plus de verres de contacts qui sont à l’origine de l’infection (trop peu de larmes, trop de poussières, etc.), mais surtout plus nécessaire d’envisager un rapatriement ! Je n’ai jamais pris autant d’antibiotiques de ma vie entière que pendant ces deux derniers mois !

J’ai connu trois jours de bonheur en rencontrant un magnifique couple de Lausanne. Lui, Robert, pharmacien et elle, Simone, infirmière sont venus 10 jours en visite à Haïti. En effet, Simone a travaillé un an à Port-au-Prince et 18 mois à Jérémie dans un dispensaire et n’était pas revenue depuis 50 ans ! Son mari n’ayant jamais visité Haïti, ils sont venus voir les changements intervenus (ou non !). Avant d’entreprendre ce voyage, ils m’ont contactée, grâce à l’ASAH, pour voir ce dont j’avais besoin. Je leur ai demandé une pommade de cicatrisation pour ma jambe et quelques souvenirs suisses que je pourrai remettre à mes proches avant de repartir, car je n’avais pas prévu assez ! Ils sont arrivés avec pleins de cadeaux à offrir, du chocolat, des médicaments en force et des gourmandises pour moi ! De vrais Père et Mère Noël au mois de mai ! MERCIIIIIIIIII ! En plus, ils n’ont jamais voulu que je les paie alors qu’ils ont dépensé largement plus de CHF 350.- ! C’est pour cela que j’ai utilisé cet argent pour louer la voiture, subventionner les enseignants et, si j’y arrive, aider un peu le pasteur pour ses roues ! Avant de partir, j’apporterai tous les médicaments inutilisés à mon médecin pour ses patients ! 
Snif...je n'ai même pas de photos d'eux, car c'est eux qui les ont prises avec leur appareil ! 

Ils ont logé 3 nuits dans un hôtel proche de ma maison, alors j’ai été souper avec eux les trois soirs et nous avons passé de très agréables moments. Le premier soir, nous avons également mangé avec une jeune Vaudoise qui travaille depuis 7 ans pour des ONG dans le monde et qui est à Jérémie depuis 2-3 ans avec l’EPER en faveur des écoles méthodistes CREP et les populations de montagne ! Je l’admire, car la vie n’est pas facile ici. 

J’ai pris aussi conscience de deux ou trois choses : tout d’abord à mon âge (51 ans), je fais partie des vieux qui restent le soir chez eux et sont assez occupés, donc je sors rarement. J’ai été deux fois chez des collègues car je passais devant leur maison, mais les visites de courtoisie dépassent rarement la demi-heure ! Les plus jeunes sortent, mais je ne fais plus partie de leur monde ! De plus, je m’aperçois que ma famille ne sort vraiment pas. L’autre jour, c’était la fête du drapeau, grande fête nationale, il se passait plein de choses partout, mais personne n’est sorti et moi avec mon œil je n’ai pas voulu aller seule, la luminosité étant encore difficile à supporter ! L’autre dimanche, il y avait aussi des animations sur la place publique et Emanette (la maman) tenait un stand de vente, j’ai donc proposé de m’y rendre à pied avec les enfants qui ont pu alors jouer sur les jeux de la place publique et voir des copains, mais cela a été l‘unique sortie à Jérémie depuis 20 semaines si j’excepte le voyage avec la famille à Dame Marie sur un week-end et mes deux sorties à la mer avec les groupes d’américains. Lors de ce moment au parc public, j’ai vu que je ne me sentais pas à l’aise dans le monde et que j’ai eu un sursaut lorsqu’une jeune fille m’a croisée de très près…Petite séquelle de mon arrachage de collier à PAP en mars ? 

Le second problème est que la maison ne se ferme que de l’intérieur et tout le monde dort au premier étage, donc la maison est fermée très tôt. Quand j’ai mangé dehors, j’ai dû chaque fois téléphoner à Emanette pour qu’elle vienne m’ouvrir la maison et comme elle dort vers 21h, vaut mieux ne pas traîner ! Cette sensation d’isolement est aussi due au fait que même la journée toutes les portes du rdc sont fermées pour éviter des intrus et samedi, en revenant de ma formation à 13h, même le portail d’entrée était fermé avec un cadenas (habituellement ce n’est que la nuit), car le gardien était parti et tout est fermé par sécurité… j’ai donc dû appeler un bon moment pour que quelqu’un vienne m’ouvrir ! Je me rends compte que cela accentue mon impression de solitude. L’après-midi, je fais les devoirs et des jeux avec les enfants, quand la mère rentre, elle téléphone, repasse et dort ! Le soir, dès qu’il y a l’électricité, les enfants sont scotchés devant la tv dans leur chambre et dès lors je me retrouve seule. Heureusement qu’il y a le wifi et que je peux communiquer avec mon téléphone et mon ordinateur. Néanmoins, moi qui, à Genève, sort au moins 3-4 soirs par semaine et qui suis toujours entourée d’amis je m’aperçois que cela me manque après 4 mois !





Les trois grandes portes-fenêtres...quasiment toujours closes ou une seule entrouverte comme ci-dessus ! 
















Un autre souci est que la chaleur augmente ainsi que l’humidité. Cette semaine, nous avons eu souvent 30 degrés avec 80 % ou plus d’humidité. Le matin, assise, mon front transpire déjà ! Le ressenti est en effet d’environ 4 degrés en plus, mais vu que la température, même au milieu de la nuit ne redescend pas en dessous de 26 et que ma chambre garde la chaleur, car les fenêtres donnent sur une véranda, j’ai le sentiment de vivre à plus de 30 degrés en permanence. Même l’eau est trop tempérée pour se rafraîchir sous la douche ! Enfin, le plus difficile, est que la ville a fourni très peu d’électricité (de 18h à 21h) ou pas du tout, donc pas de ventilateur pour dormir !!! Comme tout le monde a eu de la peine à dormir, Emanette a fait mettre le générateur en route ces trois dernières nuits pour avoir de la fraîcheur au moins jusqu’à minuit ou plus ! Bref, les nuits sont très entrecoupées : je m’endors vers 22h, me réveille à minuit et à 4h puis à 5h30 et je mets parfois énormément de temps à me rendormir (des fois 2h !). J’espère retrouver ma bonne qualité de sommeil quand je rentrerai à Genève !

Désolée, je vois que je me plains un peu…. Je pense que le cumul de bobos, de médicaments et le manque d’un bon sommeil me rendent plus sensible, pourtant je ne regrette absolument pas mon séjour qui est riche pour moi ! Je sais que je vais être à la fois très triste de partir, mais aussi très contente de rentrer !

Comme je ne veux pas vous quitter sur une note en demi-teinte, je vais vous parler de petits bonheurs que je m’accorde de temps à autre : les courses à l’européenne. Il y a ici un petit supermarché (5 rangées de rayons sur 15-20m) qui a des arrivages réguliers. Alors parfois, je me paie des petits extra pour mes souper : du brie en conserve, un pot de Nutella, une boîte de salade de fruits, des yaourts ou des crèmes chocolat qui se gardent à température ambiante !!! Ceux-ci sont très bons, car fabriqués par Lactel ou Elle et Vire, et je n’osais pas trop les tester en les voyant non-réfrigérés, mais c’est fait pour et ils m’agrémentent agréablement mes céréales le soir. Parfois, je m’achète aussi une pomme ou du raisin pour varier des bananes-figues (ils les appellent ainsi pour les distinguer des bananes qui elles se cuisent et se mangent dans les plats salés) et des mangues (la saison se termine :-( ). 






















Enfin, avant de terminer, je veux tirer un grand coup de chapeau à tous ces haïtiens qui se battent pour améliorer leur vie comme Kalos, un jeune de 18 ans environ que je rencontre régulièrement. Il vit à Léon où il va à l’école et tous les samedis, il met 2-3h pour venir à Jérémie suivre 3h de cours d’anglais avant de repartir chez lui. Il est l’aîné d’une famille de 5 enfants et veut faire quelque chose de sa vie, donc il fait des efforts importants ! En plus, à chaque fois il me rappelle que si j’ai besoin de son aide, il viendra immédiatement !
Je pense à Cliffort et Agenor et à leurs amis qui, dans un bidonville de PaP, organisent des samedis et dimanche matins pour les jeunes  de leur quartier de 4 à 14 ans en leur proposant des activités de poterie, d’artisanat, d’anglais, de respect environnemental, etc. car la plupart vont peu à l’école.
Je pense à mon médecin, Marx Saint-Clair, qui travaille 7 jours sur 7 et multiplie ses visites à domicile. Il a toujours le sourire et se montre disponible et rigoureux dans les soins. Lorsqu’il soignait ma blessure à la jambe, il a changé jusqu’à 3x ses gants et utilisé plus d’une dizaine de compresses stériles pour un seul soin afin d’éviter une infection. Même pas un tiers de ses patients peut le payer, mais il est toujours là pour eux. Il m’a soignée tous les jours pendant 7 semaines et était honteux de me demander 10'000 gourdes (soit environ 160.-). J’ai voulu payer le prix juste, car je vais être remboursée par mon assurance et je lui ai laissé un petit montant supplémentaire que j’espère agrandir avant de partir !
Je pense au Docteur Marcellus, l’ophtalmologue de PaP qui vient travailler à Jérémie une semaine par mois. Pendant les 4 jours, il a travaillé 10h par jour au dispensaire. Il a fait au moins une vingtaine d’interventions chirurgicales et a reçu entre 60-70 patients par jour. Le dernier jour, il a dû refuser encore 15 patients car il n’y arrivait plus ! Chaque personne doit payer 200 gourdes (environ 3,20), une fortune pour beaucoup, mais ensuite ils ont la consultation, les médicaments et les lunettes gratuites si nécessaire (j’avais fait le même constat à Cap Haïtien au service des urgences où je n’ai payé que 80 gourdes pour mon dossier malgré mes deux visites, mais j’avais dû aller acheter les médicaments pour me faire recoudre).
Les employées du dispensaire, les médecins, les fournitures  sont payés souvent par des ONG américaines, et eux aussi, comme les enseignants et de nombreux métiers, travaillent souvent sans recevoir de salaires réguliers ! 

Les gens comme eux il y en a tellement…. Chez nous aussi il y a des gens qui ont la vie difficile et qui montre un courage incroyable… Alors je pense à tous ces gens que je ne peux pas aider forcément comme je le voudrais. J’ai pris en charge la scolarité des enfants de Sayouba, au Burkina Faso, depuis plusieurs années et ici je vais prendre en charge la scolarité d’une jeune fille de 15 ans qui est adorable et je vais voir comment aider Kalos, Agenor et Clifford. J’aimerais avoir une baguette magique pour aider ces gens dans le monde entier, mais j’espère que mes petites gouttes d’eau font déjà du bien et je sais que nombreuses sont les personnes qui aident les autres dans ce monde. Par rapport à mon voyage ici, je rappelle que l’ASAH, Lumière pour Haïti, deux petites associations genevoises, Eirene et l’EPER, deux associations suisses, sont vraiment des associations qui investissent les dons dans des projets directs auprès de la population en besoin à Haïti et ce sont des associations en qui on peut avoir confiance !

Enfin, j’ai peut-être l’idée de monter un petit projet de une-deux semaines par année ici à Jérémie pour continuer ce que j’ai commencé, mais je vous en reparlerai d’ici quelques mois, après avoir repris ma vie quotidienne et avoir envisagé les différentes possibilités.

Voilà…une fois de plus j’ai beaucoup à communiquer et je vous remercie de me lire, car cela me touche sincèrement !
Bonne continuation !
Cordialement.
Ariane

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