mardi 3 mai 2016

A propos de ma mission....



Même si le rythme ici n’est pas le même qu’en Suisse et que je ne me lasse pas d’admirer les paysages et les vues magnifiques, je travaille chaque jour du lundi au samedi !

Comme depuis la fin février, tous les vendredis, je continue à donner ma formation à des enseignants de plusieurs écoles au sujet de l’apprentissage du français au travers d’activités de la lecture. J’aurais dû voir mon dernier groupe la semaine dernière, mais, à deux reprises, nous avons dû supprimer des rencontres et il faudra donc trouver de nouvelles dates pour les programmer (une des rencontres a déjà été supprimée deux fois !). Ce vendredi 29 avril,j'aurais dû commencer le deuxième jour de formation pour tous, cette fois autour de la production écrite, car cela correspond à une forte demande des enseignants rencontrés, mais une conjonctivite subite et douloureuse m'a contrainte à supprimer mes séances vendredi et samedi. Ce n'est que partie remise, mais ces reports de date deviennent difficiles à gérer pour trouver d'autres dates.

Comme toujours, j’essaie de leur montrer qu’ils n’ont pas forcément besoin de matériel supplémentaire (qui est leur deuxième demande), mais qu’ils peuvent l’utiliser différemment (et mieux ?) le matériel de français, très bien élaboré, qu’ils ont à disposition. J’essaie de leur donner un maximum d’idées et j’espère que cela leur donnera l’imagination pour d’autres !















Je rencontre aussi à présent, plus régulièrement, une fois toutes les deux semaines, les enseignants du Collège Jean Westley qui se situe à côté de mon bureau. Nous avons échangé autour de la gestion de la classe, de la punition et de la sanction et du règlement de classe (pendant deux séances). Lundi, suite à leur demande, je leur ai présenté pleins de petits jeux « éducatifs » qui peuvent être fait en classe (jeu du pendu, deviner quel trésor est caché, « Jacques a dit », etc.) et la prochaine fois nous aborderons déjà un peu la production écrite ensemble.  L’enseignant de 6AF m’a demandé de préparer avec lui une leçon de sciences expérimentales et je vais assister à quelques leçons et l’enseignante de 1AF m’a demandé l’observation d’une élève totalement passive dans sa classe. J’ai déjà été trois fois dans sa classe, mais la première fois, elle était absente (à cause de la pluie du matin….) et je me suis retrouvée à enseigner, mais il était 11h et les 30 élèves étaient laissés à eux-mêmes depuis 8h, donc je ne vous dis pas le degré d’excitation ! De temps à autre, un enseignant passait 5 minutes, mais sinon ils attendaient librement l’heure du départ (quand je suis arrivée, ils étaient presque tous debout, leur sac à dos sur le dos à attendre) ! Nous avons fait un peu de mathématiques (car ils avaient déjà fait un peu de lecture), de chants, de jeux et ils ont mangé le repas préparé par la cantine. La gestion de ce remplacement spontané n’a pas été simple et je dois avouer que j’ai quitté le navire à 12h30 les laissant avec une autre enseignante… Lorsque je suis revenue en observation, j’ai vu qu’ils  étaient plus obéissants avec leur enseignante, mais difficiles quand il n’y a pas les exigences habituelles.

J’ai également décidé de donner des petits séminaires facultatifs le samedi matin de 9h00 à 11h30 pendant 9 semaines, en me rendant par tournus dans trois écoles différentes et en abordant à chaque fois un thème différent (le plus souvent des sujets qui m’ont été demandés). Le premier samedi, 5 enseignants sont venus travailler sur ce que j’avais fait avec les enseignants de Jean Wesley autour de la gestion de classe (voir le paragraphe précédent) ; le suivant ils ont été 13 pour faire de la grammaire (l’accord des participes passés avec/sans auxiliaires, les groupes de la phrase et l’analyse de phrases). A chaque fois, ces échanges sont très intéressants et j’espère que cela leur apporte quelque chose; dans tous les cas, cela me demande parfois de bonnes révisions ou de l’imagination.
Les prochaines semaines, je proposerai deux séances pour les enseignantes de préscolaire et de 1-2 AF autour de la psychomotricité, des activités sur les 5 sens et l’activité du Tangram, et d’autres séances sur la procédure de résolution de problèmes en mathématiques, les différents types de textes en français et sur la poésie, sur l’évaluation et une dernière sur la gestion de rythmes différents des élèves.
La semaine dernière, j’ai été accompagnée, également à ma demande, à l’école de Léon. En effet, j’avais remarqué dans cette école que le directeur avait dans son bureau une étagère remplie de livres pouvant constituer une bibliothèque, mais empilés sans aucun ordre, chaque pile ayant un équilibre précaire …. J’ai donc décidé d’organiser une bibliothèque facile d’accès. Pendant 3h, j’ai trié les livres, une enseignante les a nettoyés (car ils étaient très, très poussiéreux !) et je les ai numéroté par catégorie (par deux années scolaires, séparant les livres pouvant être lus par l’enseignant et ceux pouvant être lus par les élèves, les ouvrages documentaires et les ouvrages méthodologiques par discipline). J’ai affiché la liste des références (par ex : 1 = livres pour les enseignants de 1-2AF, 2 = livres pour les élèves de 1-2 AF et ce jusqu’aux livres de troisième cycle et pour adultes). J’ai aussi établi une liste de prêt, car parfois les directeurs craignent la perte de livres ! J’ai ensuite présenté cette nouvelle bibliothèque aux enseignants et à leur directeur, je verrai à ma prochaine visite s’il y a eu du changement. J’étais vraiment triste de voir que, par exemple, 60 tableaux de conjugaison (vous savez le Roller jaune que nous avons tous eu et qui est toujours utilisé !) encore emballés dans leur plastique. J’ai montré aux enseignants de 2ème cycle les livres pour les lectures suivies ou les tableaux de conjugaison qui doivent être utilisés. Si j’ai le temps et le moyen de locomotion, j’essaierai d’aller donner une leçon aux élèves de 5-6AF sur l’utilisation du tableau de conjugaison !
J’espère encore visiter des écoles que je n’ai pas encore vues et, si nécessaire,  mettre d’autres bibliothèques en place, d'ailleurs je vais déjà aller revoir celle du collège Jean Wesley pour voir ce qui peut être amélioré ! J’ai enfin demandé à rencontrer à nouveau tous les directeurs, car je souhaiterais reprendre avec eux le fonctionnement des bibliothèques et les moments de coopérative pédagogique.



J'ai oublié de prendre une photo avant de commencer mon tri, mais cela ressemblait en pire à cette deuxième table remplie de livres scolaires qui s'empilent plus aisément par série.




 

Même si la place est un peu restreinte,
j'espère que ce rangement rendra plus facile l'accès !














Cependant, je suis parfois un peu découragée…. Je me demande ce que retiennent la majorité des enseignants de mes propositions ? Même si j’essaie de les rendre actifs au maximum lors des séances de travail, je me questionne sur ce qu’ils essaient de mettre en place dans leur classe.
Je suis frappée de voir comme ils sont attachés au cadre théorique strict qu’ils connaissent au détriment de la pratique. Par exemple, pour chaque leçon, ils marquent au tableau noir(ce qui leur prend déjà une place incroyable, presque un tiers du tableau !) les éléments suivants :
Discipline           : Mathématiques
Thème                 : Espace
Notions               : Travail sur la droite et la gauche
Activité               : Colorier les objets à droite ou à gauche d’un élément.
Petite parenthèse à propos de cette leçon observée dans une classe, je dois préciser que l’enseignante avait marqué « addition » comme thème ! Et qu’elle a accepté des réponses fausses, car elle n’avait pas observé que sur les dessins des personnages étaient de dos ou de face et que donc leur gauche ou leur droite n’était pas toujours au même endroit !
Toutes les 30 minutes (le temps en général d’une leçon, même si parfois c’est 40 minutes), l’enseignant prend quelques minutes pour indiquer tout cela sur le tableau et pendant ce temps les élèves s’agitent. J’essaie de préciser à chaque fois que ces indications sont pour eux, à mettre dans leur cahier de préparation, mais qu’elles ne sont pas utiles pour les élèves. J’ai discuté avec les inspecteurs pour voir  savoir si c’était leur exigence, ils me disent que non, mais que c’est sûrement celles des directeurs qui, eux, me disent que c’est comme cela à l’école normale (l’école de formation pour les enseignants), alors cela va continuer à prendre de la place, à être souvent incorrect et surtout inutile, mais je ne pense pas que je peux réinterroger davantage cette pratique !

Je vous ai déjà parlé aussi du problème de prononciation ou non de la lettre t dans les nombres commençant par vingt (vingt-deux,…), mais cela revient souvent dans les discussions. La réponse « correcte » est dans le livre de français de l’inspecteur qui date des années 60 !!! J’essaie de leur expliquer qu’une langue évolue et que, par exemple, dans la nouvelle orthographe l’accent circonflexe n’est plus obligatoire, l'essentiel est d'être d'accord sur la notion du nombre et non pas sur sa prononciation, mais cela va prendre encore du temps !
L’autre jour, le directeur d’une des écoles a réuni les 5-6AF à l’auditorium. Les élèves devaient trouver l’adjectif dérivé des noms, entre autres, suivants : cerveau, poumon, muscle, dos, estomac, bras, bête, fantaisie (quel rapport avec le corps?),…. Certains sont faciles, mais combien d’entre vous utilisent régulièrement le mot brachial (vient de bras) ? Et pour clore le tout, les élèves, en devoirs, ont dû inventer des phrases avec ces adjectifs…Une vraie partie de plaisir pour ces enfants qui ne sont pas de langue maternelle française et qui n’arrivent souvent pas à élaborer correctement  une phrase complète; aidant Mitsy à les faire, cela m'a demandé aussi une bonne réflexion ! 
Ces exemples m’interpellent sur ce qui est essentiel ou non !

J’ai retrouvé cet attachement à des règles lors de la semaine de formation que j’ai suivie avec environ 180 enseignants la semaine du 28 mars au 1er avril. Cette semaine-là, trois formateurs sont venus de Port-au-Prince donner des formations. Nous étions séparés en trois groupes dans des classes et avions trois sessions différentes par jour avec, à chaque fois, un animateur différent. La journée débutait à 7h par un moment de prières à l’église, ensuite petit-déjeuner de 7h30 à 8h (beaucoup dormaient sur des nattes dans d’autres classes, car ils habitent trop loin, vu l’état des routes et le manque de moyen de locomotion, pour se déplacer chaque jour).  Puis de 8h à 11h30 première session, pause de 30 minutes avec biscuits salés et jus/eau, deuxième session de 11h30 à 13h, pause repas et dernière session de 14h à 16h. Parfois, il y avait également des « devoirs » à faire pour le lendemain. Les temps de travail étaient différents (3h-1h30-2h), mais les animateurs tenaient à faire la même chose dans chaque groupe ! La première session était trop longue car plus personne n’écoutait l’animateur à la fin, mais impossible de faire comprendre cela aux organisateurs et de varier légèrement les sessions (par exemple 2h30-2h-2h) !
Comme nous étions assis sur les bancs-tables en bois des enfants, je ne vous dis pas comment j’ai eu mal aux fesses et comme j’avais peu de place pour mes jambes alors que je suis petite, je ne sais pas comment les grands de 1,80 m et plus ont fait !
Il y a eu trois sujets abordés: les techniques d’enseignement, la didactique du français (plus particulièrement la lecture et le vocabulaire) et l’évaluation. La semaine a débuté par un  test initial théorique pour chaque sujet, puis nous avons reçu une brochure de 30-40 pages par sujet. Lors des sessions, il  y a eu des travaux de groupes, mais surtout des présentations et nous avons passé beaucoup de temps (surtout pour les enseignants qui parlent difficilement le français) à recopier ce qui était écrit au tableau (avec des écritures parfois difficiles à lire ou écrit tout en bas du tableau que nous ne pouvons pas lire sans nous lever et je ne parle pas des fautes d’orthographes !). En fin de semaine, second test (parfois le même que l’initial) pour voir ce qui avait été retenu… Mais pour cela il fallait encore avoir lu et retenu les éléments de la brochure, car certains points n’étaient pas vraiment abordés lors des sessions. Autant vous dire que je n’ai pas réussi ces tests, car il y avait beaucoup de notions théoriques précises que nous n’utilisons pas en Suisse. De toutes façons, les animateurs sont partis avec les tests et les enseignants ne savent pas ce qu’ils ont réussi ou non !
En reprenant ma notion de l’essentiel : lorsque nous avons parlé de l’évaluation, il a vraiment été insisté que, lorsque des examens sont élaborés, il ne faut pas oublier de mettre une majuscule et un point à la consigne, mais nous avons survolé les différents niveaux de connaissance (taxonomie de Bloom) à vérifier chez l’enfant alors que l’animateur m’avait dit que cela serait son point essentiel ! L’animateur des techniques d’enseignement lui nous a montré comment effacer un tableau noir avec la brosse (nettoyage à sec car pas d’eau disponible) en indiquant quels gestes évitaient de faire trop de poussière, car le tableau était plein ! Heureusement cela n’a pas été l’essentiel de sa présentation ! Bref, il y a eu des moments que j’ai trouvés très intéressants et qui, heureusement, allaient dans le même sens que ce que j’ai présenté en français et en évaluation, mais d’autres, je me suis ennuyée car l’accent était parfois trop mis sur la théorie, mais pas la pratique, et cela me semblait loin des besoins des enseignants. Le savoir théorique est important, mais l’application l’est autant ! 

Voilà quelques nouvelles… Je voulais faire court, mais j’ai tellement de choses que j’aimerais partager avec vous. Dans tous les cas, cette mission me permet de réfléchir à certaines de mes/nos pratiques genevoises, à certains manques chez nous (je pense que les enfants ne copient plus assez et n’apprennent pas toujours assez par cœur par exemple) et d’apprécier encore plus nos avantages ! Cette expérience est vraiment enrichissante, même si parfois le manque de ma famille et de mes amis est là tout comme le questionnement sur l’utilité de mon travail. Mon amie Céline commence à percevoir des changements alors qu’elle travaille depuis plus de 4 ans avec certains enseignants, alors il est évident que mes 6 petits mois ressemblent à une goutte d’eau douce dans la mer, mais j’espère que, outre le plaisir de la collaboration et des riches échanges, cela permettra à certains enseignants de modifier un peu leurs pratiques professionnelles.

Une fois de plus, je vous remercie pour votre attention et vous souhaite une excellente continuation.
Cordialement.
Ariane


1 commentaire:

  1. Coucou Ariane, wouahhhh, quelle aventure! Je continue à te lire de temps en temps et je t'envie un peu j'avoue. Tu as certainement plein de nouvelles de Genève donc je ne vais pas te raconter plus. Juste te dire c'est un plaisir de te lire et que je me réjouis d'avance de t'entendre en live nous narrer tes aventures, ton acclimatation, tes espoirs et tes questionnements...

    Je t'embrasse!

    Antoni

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